16 juin 2024
Alors que le Rassemblement national obtient un score historique aux élections européennes françaises, Emmanuel Macron annonce la dissolution de l'Assemblée nationale. On analyse tout ça.
Percée de l'extrême-droite aux élections européennes : comprendre les résultats
Du 6 au 9 juin, les citoyens des 27 pays de l’Union européennes se sont rendus dans les urnes pour élire leurs députés au Parlement européen. On vous expliquait comment fonctionnent les élections européennes il y a deux semaines dans Parole aux assos.
En France, les élections ont eu lieu ce dimanche 9 juin. Nous avons d’ores et déjà les résultats :
La liste « La France Revient » (Rassemblement national) portée par Jordan Bardella crée l'écart en obtenant 31,37% des suffrages, ce qui lui offre 30 sièges sur les 81 disponibles pour la France. La deuxième liste, « Besoin d'Europe » (Rennaissance), portée par Valérie Hayer, n'arrive qu'avec 14,60%, obtenant donc 13 sièges. C'est le même nombre que pour la liste « Réveiller l'Europe » (Parti socialiste) portée par Raphaël Glucksmann, qui suit à 13,83%. « La France Insoumise » (LFI), derrière Manon Aubry, termine légèrement en dessous des 10% et obtient donc 9 sièges, suivie par la liste « La droite pour faire entendre la voix de la France en Europe » (Les Républicains), représentée par François-Xavier Bellamy, avec 7,25% et 6 sièges. Les listes « Europe écologie » (Marie Toussaint, Les Écologistes) et « La France Fière » (Marion Maréchal, Reconquête) partent toutes deux avec 5 sièges chacune en passant de justesse la barre des 5%. Toutes les autres listes sont en dessous de ce palier et n’auront donc pas de siège au Parlement européen.
Alors que peut-on retenir de ces résultats ? On constate déjà une chute des écologistes, qui obtiennent de justesse le minimum de sièges possibles. Mais surtout, on ne peut ignorer la percée du Rassemblement national. Certains analystes corrèlent la victoire du Rassemblement national à la forte médiatisation de Jordan Bardella pendant sa campagne. Plusieurs ont dénoncé le temps d'antenne très peu égalitaire des différentes têtes de liste. La présence de personnalités politiques ne faisant pas partie des listes sur des plateaux ou dans des débats a également été reprochée.
Quoi qu'il en soit, un tiers des français ayant voté donne sa voix à l’extrême droite, et c’est une tendance qu’on retrouve plus ou moins à l’échelle européenne.
Le groupe PPE est en tête avec 186 sièges. C’est le groupe qui est historiquement majoritaire, suivi toujours par le groupe S&D à 135 sièges. Les majorités ne sont donc pas chamboulées. En revanche, on constate que les groupes d'extrême-droite ID et CRE ont respectivement 58 et 73 sièges, c'est une augmentation cumulée de 13 sièges pour l'extrême-droite. De l'autre côté, le groupe Renew dont fait partie le centre et la majorité présidentielle française gagne 79 sièges, ce qui fait 23 de moins que la précédente législature. Mais surtout, les groupes S&D et Gauche Unitaire (dont fait partie LFI) ont perdu des sièges par rapport au Parlement sortant. La plus forte perte étant chez les écologistes qui obtiennent 53 sièges au lieu de 71.
Le soir même du dimanche 9 juin, des manifestations ont donc été organisées partout en France pour protester contre cette percée de l’extrême-droite. À Rennes, près de 3000 personnes se sont retrouvées Place de la Mairie. En effet, Rennes est une ville traditionnellement plutôt de gauche. C’est la liste PS qui y arrive en tête à presque 25%, suivie par la LFI à presque 15%. La liste RN n’y fait que 9,42% et la liste Reconquête seulement 3,25%.
Dissolution de l'Assemblée nationale : comprendre les enjeux
Mais cette soirée riche en émotions et rebondissements ne s’arrête pas là. Quelques minutes après l’annonce des résultats, Emmanuel Macron décide de convoquer des élections législatives anticipées par la dissolution de l’Assemblée nationale, une première depuis 1997.
Grâce à l’article 12 de la Constitution, le président de la République peut dissoudre l’Assemblée nationale. Concrètement, les élections législatives de 2027 sont avancées à 2024. Le scrutin doit avoir lieu entre 20 et 40 jours après la prononciation de la dissolution. Bref, il faudra retourner voter les dimanches 30 juin et 7 juillet, cette fois-ci pour désigner les députés du parlement français : l’Assemblée nationale. Tous les projets de loi en cours - comme le projet de loi sur la fin de vie - sont suspendus. Ils pourront être repris par la nouvelle assemblée seulement si le gouvernement les présente de nouveau et tout repartira de zéro.
Mais pourquoi Emmanuel Macron fait-il cela ? Quel est son intérêt ? Pour y répondre, je me base sur le billet de blog de François Malaussena (vulgarisateur en économie, droit, histoire et politique) publié sur Médiapart.
L'Assemblée nationale compte une majorité absolue à 289 sièges. Les macronistes en comptent aujourd'hui 250, la NUPES (l'union des gauches) 149. Le Rassemblement national a 88 sièges, Les Républicains 61 et il y a 29 députés non affiliés. Le timing choisit par Emmanuel Macron n'est pas anodin, dissoudre l'Assemblée nationale juste à la sortie des élections européennes entraîne une confusion. Les partis de gauche sont éclatés entre une multitude de petites listes car chacune espérait obtenir des sièges au pourcentage. Mais les législatives ne fonctionnent pas sous forme de liste et de proprotionnelle : on élit un député par circonscription qui doit donc avoir une majorité. Emmanuel Macron prend tout le monde par suprise et laisse très peu de temps pour s'organiser et faire barrage au Rassemblement national, qui bénéficie de son pic de popularité. Alors pourquoi ?
Prenons pour exemple fictif une petite circonscription de 100 votants. Si au premier tour des législatives, on obtient cette répartition des voix :
Le Rassemblement national et LREM seront en tête et passeront au second tour. Comme il est peu probable que les électeurs des différents partis de gauche votent d'un coup pour l'extrême-droite, il voteront LREM pour faire barrage. Dans notre petite circonscription de 100 personnes, on aurait donc LREM élu député avec ces résultats :
Comme on l'a vu, il ne manque que 40 circonscriptions à LREM pour obtenir la majorité absolue à l'Assemblée nationale. Si ce scénario se produit dans 40 circonscriptions de plus que celles qui avaient déjà voté LREM aux précédentes législatives, le parti d'Emmanuel Macron a atteint son objectif. Mais même si c'est le RN qui arrive en tête, François Malaussena considère que cela reste une victoire pour LREM qui pourra continuer à faire passer ses politiques conservatrices tout en se dédouannant et en se faisant passer comme la seule alternative à l'extrême-droite.
Maintenant, admettons que les partis de gauche s'unissent pour présenter un candidat unique. On aurait donc ces résultats au premier tour dans notre petite circonscription de 100 habitants :
Dans ce cas de figure, ce serait cette union de la gauche qui passerait en tête au second tour, soit contre le RN soit contre LREM. Il y aurait donc une vraie chance que des députés de gauche soient élus et construisent une opposition politique à l'Assemblée nationale. Mais pour cela, il faut que tous les partis de gauche réussissent à s'entendre. Pour François Malaussena, c'est ça la stratégie d'Emmanuel Macron : laisser seulement 20 jours aux partis de gauche pour négocier un accord, nommer les représentants, déposer les candidatures dans toutes les circonscriptions, s'accorder sur un programme et faire campagne.
Dès le lundi 10 juin au soir, La France Insoumise, le Parti Socialiste, Europe écologie, le Parti communiste, le Nouveau Parti Anticapitaliste, Génération-s, Place publique et le Parti animaliste ont annoncé la création du Front Populaire pour présenter un candidat commun dans chaque circonscription. Le choix du nom n'est pas anodin : en 1936, le Front Populaire est une coalition législative autour du Parti Radical, du Parti Socialiste, de la Section française de l'Internationale ouvrière, du Parti communiste et des divers gauches pour faire face à « la menace faschiste ». Le message envoyé est donc fort. Reste à voir si, effectivement, ils arriveront à un consensus à temps.
Du côté de la droite, des négociations et désaccords sont aussi en cours. Eric Ciotti, ex-président des Républicains, a pris l'initiative d'annoncer une alliance avec le RN, démentie par Valérie Pécresse. Quant à Marion Maréchal, elle a annoncé rediriger les voix de Reconquête vers le RN, ce qui n'a pas plu à Eric Zémmour. Ici aussi, reste à voir s'ils arriveront à un accord à temps.
D’ici là, vous pouvez vérifier que vous êtes bien inscrits sur les listes électorales et quel est votre bureau de vote : juste ici. Si vous ne pouvez pas aller voter, rendez-vous en gendarmerie ou sur Ma Procuration pour déposer une procuration. Vous pouvez également vous inscrire sur le site « A voté ! Plan procu » ou sur Action Populaire pour trouver quelqu'un qui peut voter pour vous ou vous porter volontaire pour voter pour quelqu'un.
Pour écouter la version audio de cet article, rendez vous : juste là !
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